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Pénétré des sentimens de la plus vive reconnoissance envers le Public, le Roy. Libraire à Caen, ambitionnoit depuis long-tems la gloire de lui devenir utile, & de répondre à la confiance dont il l’a honoré : rien ne lui a parû plus propre à favoriser son projet que de donner aux Gens de Lettres les moyens d’avoir une connoissance exacte de tous les meilleurs Livres, & de leur en procurer la lecture, sans qu’il en coûtât beaucoup ; une prompte exécution lui mériteroit sans doute une augmentation de confiance, & ce seroit pour le Libraire un dédommagement suffisant des peines & des dépenses que ce projet lui coûtera, si le succès seconde l’entreprise.
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L’avantage qui résulte des Bibliothéques publiques est assés sensible par lui-même, sans qu’il soit besoin de les démontrer : c’est de ces augustes Licées que les Gens de Lettres viennent étendre & perfectionner leurs connoissances. Si l’on divinisa, pour ainsi dire, à Athènes le Précepteur d’Alexandre, quels éloges ne donne-t-on pas en France & dans toute l’Europe aux Bignon, aux Bigot, aux Rothelin & à tous ceux qui ont contribue a augmenter les Bibliothéques publiques ?
Cette ville conservera long-tems la mémoire d’un Prélat plus respectable par ses talens & ses lumiéres que par la Pourpre qui le décore, pour lui avoir procure une partie des fonds qui enrichissent la seule Bibliothéque qu’elle possède ; si ce n’est pas pour elle l’établissement le plus brillant, ce sera au moins le plus durable, & un de ceux qui contribuera à illustrer son Auteur.
Si cette Bibliothéque eût été publique pendant toute l’année & tous les jours de la semaine, le Roy, Libraire, n’eût pas sans doute projetté d’en établir une autre ; mais la premiére n’étant ouverte que pendant les Exercices de l’année scholastique, il a crû qu’il seroit avantageux à l’Université même & aux autres Corps de la Ville d’en avoir une où l’on pût lire pendant toute l’année & tous les jours de la semaine. La Maison qu’il occupe lui fournit un emplacement convenable.
Son dessein est d’y rassembler les meilleurs Livres dans chaque genre, afin qu’on profite plus utilement de cette établissement : il employera tous ses soins pour acquérir ceux qui, par leur rareté ou leur prix, mettent les Curieux hors d’état de les lire. Chaque année il compte enrichir sa Bibliothéque des Livres que le Public aura parû désirer.
[Paragraphes sur :] Théologie [...] Jurisprudence [...] Médecine [et Chirurgie, Chymie, Botanique, Histoire naturalle] [...] Physique [& Mathematique, Art Militaire, Commerce] [...] Littérature [& Histoire] [...]
Mais comme le monde Littéraire fourmille aujourd’hui d’histories, & qu’il seroit aussi impossible que superflu de les rassembler toutes, ce sera rendre un service au Public, & en particulier a la jeunesse, de recueillir seulement celles qui nous intéressent le plus, & par le fond des choses, & par la maniére dont elles sont écrites.
Il seroit trop long de parcourir tous les différens genres de Littérature : il suffira de dire qu’on fera choix des meilleurs Livres, & surtout de ceux qui sont propres a entretenir ou former le bon goût, comme tous les livres de Poësie & de critique ; c’est proscrire les Livres propres a corrompre les mœurs qui inondent depuis si long-tems le Ville, & qui, au lieu de présenter une nourriture à l’esprit des jeunes gens, ne portent dans leur cœur qu’un poison mortel par les mauvaises impressions dont on est susceptible dans un pareil âge ; ce n’est qu’un intérêt vil & déshonorant pour la Librairie, qui puisse inspirer l’envie de répandre dans la Society des Livres aussi dangereux.
On fera venir exactement de Paris tous les Livres nouveaux, & l’on en mettre un exemplaire dans la Bibliothéque : il arrive souvent qu’on est trompé, ou par le nom de l’Auteur, ou par un titre pompeux qui fait allusion : il arrive aussi quelquefois qu’on ne se hazarde point à acheter des Livres qui seroient cependant très-utiles, parcequ’on voudroit les connoître auparavant : rien donc de plus avantageux que de pouvoir être instruit par soi-même de leur mérite & de leur utilité. Cette seule considération doit suffire pour désabuser ceux qui prétendroient que ce seroit ôter aux Curieux l’envie qu’ils ont de faire une Bibliothéque choisie, & a cet égard l’on est sur du suffrage de tous ceux qui ont intérêt de connoître la Librairie.
Les bons Journaux sont bien propres aussi à nous instruire du mérite des Livres nouveaux ; c’est dans ces vûes qu’on fera venir tous ceux qui paroissent, comme les Journaux des Sçavans, de Trévoux, le Mercure, le Conservateur, Encyclopédique, Verdun, Chrétien, l’année Littéraire, &c.
Comme les Muses aiment le silence, & qu’il est principalement nécessaire dans les endroits ou l’on s’occupe de la lecture, ceux qui voudront s’entretenir & conférer ensemble, pourront passer dans un Apartement séparé, destiné à lire les nouvelles imprimées. Pendant l’Hiver il y aura des poëles, & on ne négligera rien de tout ce qui pourra engager le Public a profiter d’un établissement avantageux pour tous les Citoyens en général, & particulièrement pour les Etrangers & tous ceux qui fréquentent l’Université. Il y a à Caen comme partout ailleurs des Personnes qui dans bien des momens se trouvent désœuvrées : elles pourront par ce moyen se soustraire a l’ennui & s’amuser utilement.
Cette Bibliothéque sera ouverte tous les jours de l’année depuis le matin jusqu'à midi, & depuis une heure jusqu’au soir. On pourra s’abonner ou pour un, ou pour plusieurs mois, ou pour l’année entière. On se flate que les conditions seront asses avantageuses pour engager tous les Amateurs des Sciences & des Lettres a faire reussir un projet qui joint l’utile a l’agréable.
[Ms:] Les abonnements commenceront le 17 9bre 1759.
Source : Projet d'une bibliotheque publique, chez Le Roy, Libraire, à Caen. - [Caen] : [pour Gilles Le Roy] , [1759 ?]. - 8p ; 8°. - AD Calvados (Nouv. acq. 1463). Girard (1998) 1919, P06. Extraits par Ian Maxted.
Dernière revision: le 21 mai 2011
